Les animateurs de notre association, Jean Denis et Guy, m’ont proposé d’écrire quelques lignes sur la naissance de votre bateau. Comme c’est au départ une histoire très personnelle, j’ai sur le moment, quelques scrupules à vous en imposer le récit. Mais puisque l’ai promis…
En ce 5 novembre 1985, les cloches sonnent en l’église Saint Paul de Rezé pour célébrer de jeunes mariés. Et notre affaire commence là…
Je souhaitais réaliser un joli quillard pour initier à la voile la femme que je venais d’épouser. Le geste fut amoureux et chaque ligne tracée, une émotion. A l’époque la conception par ordinateur n’en était pas là où nous la connaissons aujourd’hui. Et quand bien même, je n’aurais sû confier mes rêves autrement que sur le papier, comme on adresse une lettre d’amour.
C’est donc fin 1985 que j’ai tracé les premières esquisses du bateau qui deviendra deux ans plus tard le Monotype 7,50 m.
Dans la conception de notre bateau, et au-delà d’un marqueur esthétique prioritaire, je poursuivais trois idées : la première, une embarcation sûre et capable de procurer des sensations très directes, proches de celles d’un dériveur (il s’agissait d’initier à la finesse de la barre et des réglages). La seconde, une simplicité de mise en œuvre et d’utilisation aussi intuitives que possible (il s’agissait de ne point rebuter à l’action). Par exemple, avoir un œil immédiat sur les tenants et aboutissants des manœuvres… La troisième plus technique, démontrer qu’une carène étroite peut offrir de merveilleuses sensations aux allures portantes …
La première esquisse comportait une étrave en cuillère qui induisait des formes avant très frégatées, dont l’esthétique m’a toujours régalé. Je m’en étais inspiré d’un 5,50 Mji dessiné par Fay et repéré quelques temps auparavant à la Nautique de Genève. Le pont strictement plat et le rond de chute du tableau arrière étaient inspirés par un autre 5,50 Mji, Janaël, un plan Briton Chance, celui de mon père, construit chez l’orfèvre Herman Egger en Suisse et avec lequel il défendit les couleurs de la France aux Jeux Olympiques en 1968 à Accapulco. Je n’étais pas vieux à l’époque mais les quelques sorties auxquelles j’us droit restent gravées dans ma mémoire. J’ai passé des heures à le dévorer des yeux. C’était un « classique » parfait. La passion des bateaux m’est née à ce moment. J’avais 10 ans. J’ai pleuré qu’il fut vendu.
La première épure dont je rêvais pour Sylvie, devait être réalisée en bois moulé vernis soulignée d’une ligne de gouge et de flèches dorées à l’or fin… Fermez les yeux et imaginez… Elle était dotée d’un cockpit autovideur car l’exercice du seau ou de la pompe pour le maintient à flot me semblait susceptible de ternir le charme de nos futures navigations. Même les équipages des 12 Mji s’étaient émancipés et avaient déserté les fonds de cales pour le grand air.
Si vous avez remarqué le nombre de références aux illustres séries métriques qui constituaient pour moi des archétypes en termes d’esthétique et d’exclusivité, je voulais pour les œuvres vives, autre chose et très radicalement. Du léger, du vivant, du réactif, du planant ! Et qui s’exprime dans les temps modérés qui font l’essentiel de nos sorties, conditions dont ma Muse s’accommoderait plus volontiers que d’un temps de chien…
Des sections rondes, une surface mouillée minimum, une ligne de quille tendue … J’ai passé des heures à sucer mon crayon tout en rendant visite régulièrement à Philippe Harlé qui fut un merveilleux parrain dans ma formation d’architecte et qui s’inspira plus tard de mes travaux pour ma plus grande fierté. Mais ceci est une autre (belle et trop courte) histoire.
Ah, vous avez remarqué une quille « moderne » constituée initialement d’un voile d’acier caréné et d’un bulbe, le tout à 1,50 m de la surface ! Un foc autovireur, et un gréement poussant ou j’hésitais encore sur la présence des bastaques. Un mat encore emplanté… Un plan de voilure dans sa version quasi définitive que vous connaissez aujourd’hui …
De cette épure naquit le « Projet Galatée ». Un bref retour vers l’antiquité grecque pour vous en donner la clef : Pygmalion ayant sculpté une œuvre si belle à ses yeux –Galatée-, il implora les dieux de lui donner vie. Aphrodite l’exhaussa. J’espérais l’être aussi et s’il en fut ainsi, ce fut moins grâce aux dieux que parce que de bons amis et famille se penchèrent avec amitié sur ma farouche volonté d’aboutir.
Comment construire un bateau quand on est à peine installé dans la vie ? A question brûlante, réponse impérative. Il me vint à l’idée que je pourrais partager (un peu) de cette genèse avec d’autres. Pourquoi ne pas créer une série à partir de mes épures ? Des professionnel se penchèrent sur le projet et me suggérèrent d’approfondir ce qui allait devenir un vrai cahier des charges. De grands chantiers et de plus petits se penchèrent sur l’opportunité de réaliser le bateau qui au fur et à mesure prit la forme du Monotype 7,50 m tel que vous le connaissez.
Je fus amené à faire deux modifications importantes : L’une concernait l’étrave en cuillère, jugée trop clivante par nombre de spécialistes et amateurs. J’ai mis des heures à dessiner l’étrave définitive du bateau doté de cet arrondi très subtil qui la rend élégante. La seconde touchait le tirant d’eau du bateau jugé trop important (à raison) pour la navigation en eaux intérieures. L’histoire de la forme de la quille qui fait toujours couler un peu de salive méritera peut-être d’être racontée plus tard.
Puisque pour finir les bonnes intentions des chantiers s’étiolaient, et sous peine de voir ce projet voué aux calendes grecques, il advint bientôt le temps de lancer moi-même une entreprise nommée Yachting Sports (28 novembre 1986) qui avait pour vocation de commercialiser et faire partager ma passion pour ce beau bateau qui serait baptisé Monotype 7,50 m, pour rappeler un peu les séries métriques qui l’avaient inspiré.
Je vous conterai plus tard le lancement du premier bateau issu du talent de mon ami et regretté Gil Carmagnani et la naissance de l’association des propriétaires, qui maintient la flamme des amoureux de notre bateau. Et quelques moments uniques dans la commercialisation des bateaux avec Guy qui valent leur pesant. Notre bateau c’est 100 % de passion et autant d’amitié.
A suivre, si vous le voulez.
Gilles Bretéché
PS : Sylvie a adopté immédiatement cet enfant encombrant avec toutes ses voiles, son armement qui remplit (modestement) les communs de la maison. Comme espéré elle a appris à naviguer à bord, elle aime la régate, son ambiance et ses rencontres. A bord, elle est aux petits soins du N° 1 qui se multiplie, se porte au rappel sans discuter et tempère les ardeurs de celui qui à la barre fait de son mieux pour qu’elle soit fière de lui autant qu’il l’est d’elle comme au premier jour.
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